LA LUMIERE ET L’ESPACE COMME SUPPORTS
Ma passion pour le Land Art m’a conduite au Etats-Unis où je désirais découvrir les espaces et les sources de cette démarche artistique liée à l’expérience du lieu. C’est ainsi que j’ai choisi James TURRELL qui poursuit une recherche plastique utilisant la lumière et l’espace comme supports. Installé à Flagstaff en Arizona, James TURRELL est un pilote expérimenté qui utilise le ciel comme source d’inspiration et la perception comme medium. En manipulant la lumière dans l’espace, James TURRELL crée des effets visuels particuliers qui se situent entre vision intérieure et vision extérieure.
Avec « PASSAGEWAYS » mon choix a été de montrer moins pour montrer plus. Il n’a pas été question de faire un film biographique ou même exhaustif sur son œuvre mais plutôt de transposer une démarche et une approche très particulière grâce à l’expérience de la perception d’une seule œuvre et d’un seul lieu. L’espace étant créé par la lumière, James TURRELL s’attache à mettre en œuvre « cette conscience de la perception » créée par l’expérience en insistant sur cette notion à l’œil nu « the naked eye », l’œil, cet instrument qui permet de voir même dans l’obscurité après un certain temps d’adaptation . Et son œuvre joue sur les limites de la vue en plongeant parfois le spectateur dans l’obscurité presque totale. Quelquefois, l’intensité lumineuse est si faible que l’œuvre apparaît quinze minutes plus tard.
« Je ne voulais pas que mon travail soit en rapport avec la lumière, je voulais travailler avec la lumière elle-même, la matérialisant .. » dira-t-il
L’ OEUVRE SKYSPACE “SECOND MEETING” ET LE PROJET “RODEN CRATER”
A chaque exposition, James TURRELL doit modifier voire reconstruire l’espace dit environnement perceptuel qu’il remplit d’une lumière choisie avec attention, en jouant sur les subtilités de la perception rétinienne : soit il construit un nouvel espace à l’intérieur même du lieu d’exposition d’où jaillit la lumière, soit il ouvre l’espace lui-même sur l’extérieur pour jouer avec la lumière naturelle du ciel.
J’ai donc choisi de ne montrer qu’une œuvre SKYSPACE intitulée « SECOND MEETING » : une chambre ouverte sur le ciel qui me permet, en la filmant de l’intérieur, de laisser entrevoir la grand projet du Cratère Roden. Le cratère Roden est un volcan situé dans la région du «Painted Desert » à 100 kilomètres de Flagstaff en Arizona sur le territoire des Indiens HOPI. Acheté par James TURRELL en 1977, « RODEN CRATER » est son Grand Œuvre et synthétise toute sa démarche artistique.
LE MODELE DE L’OBSERVATOIRE ET LA COSMOGONIE DES INDIENS HOPI
Influencé par le modèle de l’observatoire – en particulier celui des sites destinés dans l’antiquité à l’observation du soleil et des astres comme « Stonehenge » en Angleterre ou « Abu Simbel » en Egypte – James TURRELL a entrepris la construction de réseaux de chambres d’observation et de couloirs ouverts sur le ciel. Pilote de formation, il a localisé ce site lors d’un de ses nombreux vols au-dessus de la côte est des Etats-Unis.
La lumière, l’espace et le temps sont les paramètres visuels de James TURRELL. Il insiste lui-même sur la force des images créées par le rêve et il s’intéresse à la force mythique d’un lieu : ici le désert d’Arizona et ce que ce lieu génère comme images du passé. Le film privilégie ce voyage intérieur , cette métaphore du lieu par la présence de son ami « Chef du Clan des Aigles » l’indien HOPI Gene SEKAQUAPTEWA. James TURRELL a fait appel à lui en particulier pour la construction d’une chambre souterraine inspirée de la structure des « Kivas » HOPI , (qui sont des chambres souterraines à la fois temple, atelier, club ou dortoir HOPI où sont pratiquées les cérémonies religieuses). Ces chambres toujours orientées vers l’est, ont une toute petite ouverture sur le ciel calculé précisément pour ne laisser entrer la lumière du soleil qu’au moment du solstice d’hiver (le 21 décembre), moment où le degré du soleil est au plus bas mais stable pendant 4 jours , et propice au réchauffement de la terre : le début des plantations.
Avec l’œuvre SKYSPACE « SECOND MEETING » filmée tout au long d’une journée (une image par seconde)? j’ai transposé l’expérience physique d’une œuvre de James TURRELL immergée par la lumière et ses multiples déclinaisons du lever au coucher du soleil. Dans le film, la rencontre entre James TURRELL et le Chef HOPI montre le lien évident qu’entretient l’artiste avec une mémoire ancestrale, leur commune vénération pour le ciel, l’espace, les rythmes solaires et sa recherche d’une spiritualité non mystique.
De même, je me suis inspirée d’un texte de James TURRELL évoquant avec émotion sa découverte du « RODEN CRATER » en survolant le désert d’Arizona : c’est plus qu’un espace , une appréhension de toutes les gradations de la lumière entre ciel et terre fondatrice de son art.
Texte de Carine ASSCHER © C.A. Productions, 1995.
Texte publié en allemand dans “Mehr Licht” édité par Merve Verlag Berlin , 1999.
Avec les textes de Peter Bexte, Wolfgang Hagen, Friedrich Kittler, Henning Lohner, Francis Ponge, Paul Virilio.